Tattoo Life Magazine parut en septembre 2007
Ces flashs sont issus de véritables peintures, travaillées sur papier «éléphant». Le mixte de l’aquarelle et de [acrylique permet d’obtenir différents niveaux de contraste conjugués avec la texture des fonds que j’élabore en lavis, rappelant l’ambiance d’anciennes gravures nécromanciennes, idéal pour illustrer mon travail sur les crânes. C’est une suite logique de ma fascination pour l’univers d’Edgar Poe et de Robert Howard, mélange d’histoire et d’ésotérisme. Le symbolisme est une base fondamentale de ma recherche graphique que ce soit dans le tatouage ou la peinture. Sa pleine influence s’exprime dans ces dessins. Le crâne représentant la forme physique, la structure anatomique, l’oeil sa forme spirituelle. La couleur rouge revient dans ces peintures comme un refrain, fluide vital, vagues, flammes, toiles, coulures. Le rouge, qui à la fois fascine et repousse, est un pigment que j’aime utiliser, tant sur la toile que sur la peau, contrastant avec les couleurs ocre et doré, et soulignant le caractère alchimique de ces oeuvres. Pour stimuler ma créativité les sujets se doivent d’être abordés sans compromis en cristallisant une idée, une personnalité, un message, voire une vision ! Elle se porte comme un gage de vérité, baigné dans un pacte de sang. Cet échange authentique entre ces deux protagonistes lors d’un tattoo est unique et apporte toute sa raison d’être à ma vocation. C’est un beau samedi aprés-midi que je rencontre Niko, tatoueur depuis treize ans, propriétaire du studio de tatouage parisien Kustom Tattoo, salon de tatouage paris. Ce tatoueur autodidacte et féru de voyages à travers le monde me confie sa vision du body art actuel.
1) Tu as beaucoup voyagé. As-tu une idée de ce qui différencie actuellement la France des autres pays au niveau des modifications corporelles ?
Le Québec a une dizaine d’années d’avance au niveau du body art et de la culture tatouage, c’est dans leur culture en fait. Le Japon, les USA, l’Océanie, sont les berceaux du tatouage, ce qui explique leur avance. Aprés il y a eu un effet de mode importé. La culture française ne comporte pas le tatouage, ce qui pourrait expliquer son côté arriéré. Mais d’un autre côté, l’Italie est développée au niveau du tattoo alors qu’il n’est pas présent dans ses traditions (pareil en Espagne). Il y a une espéce de “non acceptation” du tatouage sans aucun argument avancé pour appuyer ce refus. Les Français ont le cul entre deux chaises. Il n’y a pas de vraie culture rock’n’roll ici, ce qui ne favorise pas le développement du tattoo, contrairement aux pays nordiques, à l’Allemagne ou aux Etats-Unis. La France est plutôt branchée par l’effet de mode car c’est à peu prés tout ce qu’elle a.
2) Actuellement, constates-tu beaucoup d’effets de mode dans les travaux qu’on te demande d’exécuter ou les dessins signifient-ils profondément quelque chose pour la personne ?
Une vulgarisation du tattoo a été faite, mais ça n’a pas vraiment fait progresser le tatouage en général. Le tribal revient toujours en fond, les gens ont des idées trés basiques. Aprés, tout dépend du travail que développe le tatoueur, mais le développement a été fait entre 2000 et aujourd’hui, avec les studios de body art qui poussent comme des champignons sur Ch,telet. On a subi un peu le côté pervers des Américains avec ces shops pas toujours ouverts par des personnes compétentes. Mais d’un autre côté, Áa a permis aux tatoueurs de sortir de l’underground. Cette évolution est donc à double tranchant. Ca ne donne pas le temps d’éduquer les gens au tatouage et Áa les met entre deux eaux. Ils prennent ce qui leur est proposé. Cependant, sur notre site Internet, il n’y a pas un seul tribal. Or les gens viennent nous voir pour du tribal. Cela prouve qu’on a fait un site éclectique, mais d’un autre cÙté, quand je vais manger chez un asiatique je ne demande pas du couscous. C’est bien parce que Áa fait travailler les personnes qui bossent avec moi, car tout tatoueur doit savoir faire du tribal, mais c’est frustrant vis-à-vis de l’ouverture d’esprit censé exister dans la capitale. Moi justement, je suis venu dans la capitale pour l’ouverture d’esprit qu’elle suggére, et en réalité cette ouverture d’esprit est plutÙt limitée.. Je dirais que le cÙté rock’n’roll des années 80 est bien mort à Paris, malgré les quelques mouvements punks qui apparaissent mais qui restent limités et fashion, un peu comme le mouvement rap us. J’ai beaucoup bossé sur la côté ouest des Etats-Unis, et c’est frustrant de se rendre compte qu’on est plus connu là-bas qu’ici.
3) Donc tu penses que tout vient du côté fashion ?
Je pense qu’on est simplement super lent, et dans tous les domaines. On a des personnes qui peuvent faire évoluer les choses, mais à un moment donné on se bloque. C’est lent, c’est lourd, c’est dur à expliquer. On reste beaucoup sur nos acquis, au point de se faire un peu dépasser. La mode était incontournable à Paris, or, aujourd’hui, je ne pense pas qu’elle soit meilleure à Paris qu’ailleurs. En plus, la configuration de Paris est déjà spéciale : à Barcelone, les boutiques de tattoo sont dispersées dans la ville, alors qu’à Paris elles sont regroupées au centre, et aprés c’est la banlieue.
4) A ton avis, pourquoi le tatouage et le piercing ont-ils explosé depuis quelques années ?
Je dirais que c’est depuis 1994/1995. Avant, le piercing, en France, on ne connaissait pas. Pourquoi Áa a explosé? Parce qu’on subit forcément l’influence des civilisations extérieures. On vit sur la m’me planéte, et malgré notre cÙté lent, pachydermique, on est quand m’me rattrapé par les autres. Il y a aussi l’influence des stars américaines, sauf que pour elles, les modifications corporelles sont normales, contrairement à la France. Aux USA, certaines tatoueuses ont des fan clubs! Le tatouage bouscule tout. C’est un antidote à plein de conneries: tout le monde se tatoue, mais en catimini. C’est donc une expression de liberté personnelle. C’est une révolution sur son propre corps qui a toujours été là. Ca suit l’histoire. Il n’y a, en fait, jamais eu de vraie mode du tatouage. Quand Marco Polo est revenu des pays asiatiques, il a ramené les nouilles, mais aussi le tatouage. Le tatouage a fait son chemin partout. Aprés, nous avons eu cette image négative du tatouage par rapport aux taulards, mais il y a aussi eu les marins, qui eux-m’mes avaient vu Áa sur les Maoris, etc… Áa vient de loin ! En Asie, ce sont les pr’tres bouddhistes qui ont le droit de tatouer par exemple. Pour moi, c’est un droit d’identification personnelle. Mais je ne cautionne pas pour autant l’effet pervers de certaines modes, comme le fait qu’aujourd’hui il faille ‘tre percée à quatorze ans.
5) Pour quelles raisons les gens viennent-ils se faire tatouer? Esthétique pure ou autres raisons ?
Je pense qu’il faut tout de m’me plus que de l’esthétique pour garder quelque chose sur soi toute sa vie, m’me si un tatouage peut ‘tre porté de façon instructive. Selon moi, c’est avant tout un échange entre deux individus. Hier par exemple, j’ai tatoué un homme qui désirait quelque chose de précis, d’important pour lui. Nous en avons beaucoup discuté. C’est avant tout un échange, ce n’est pas juste tu payes tu t’assois, on te tatoue et tu t’en vas.
6) Il paraitrait que l’acte du tatouage ou de la modification corporelle en général soit fait à un moment important de la vie d’une personne (majorité, changement dans la vie,…) . A partir de ton expérience professionnelle, confirmes-tu cette théorie ?
…tant donné qu’il y a quelque chose de permanent dans léacte du tatouage, c’est qu’il y a une volonté de marquer un moment de sa vie. Personnellement, je ne me suis pas tatoué à des moments clé, mais Áa dépend de chacun. Mais si l’on marque chaque moment important de sa vie par un tattoo, il faut faire attention, car nous n’avons qu’un seul corps! Il y a aussi un amour du tatouage, à la base, qui donne envie d’en avoir un. Il y a le fait d’aimer le tatouage et d’en vouloir un, sans savoir quel dessin, puis il y a la rencontre avec le bon tatoueur. Le tatouage naÓtra ensuite des discussions entre le futur tatoué et le tatoueur. Pour moi, c’est avant tout une rencontre. J’ai une approche plus artistique bien s¾r, mais quelqu’un désireux de se faire tatouer n’étant pas dans le milieu doit aussi pouvoir ‘tre compris, car le tatouage a des impacts personnels, sociaux et intellectuels. La premiére fois que je me suis fait tatouer, je me suis rendu compte que je ne serais plus jamais le m’me. C’est important Áa, de se dire que quelque chose va changer dans sa vie. Donc pour que ce soit dans le but d’effectuer un changement ou de marquer une évolution, du moment que c’est positif, c’est l’essentiel. Mais évidemment, il y a beaucoup de psychologie dans le tatouage. Enfin, je dirais que le motif simplement esthétique risque de donner du boulot au laser. On n’est jamais à l’abris des erreurs.
7) Les modifications corporelles ont longtemps été associées à un type de personnes particulier (personnes mal dans leur peau, exclues,…). Depuis le boum du tatouage, as-tu souvent affaire à des personnes qui, justement, veulent se faire tatouer pour évacuer une sorte de souffrance ?
Oui, j’en ai rencontré. De toute faÁon, tu rencontres toutes sortes de personnes quand tu es tatoueur. Mais ce genre de personne ne représente pas la majorité de mes clients, et il néy en a pas plus aujourd’hui quéavant. On peut ‘tre trés bien dans sa peau et aimer se faire tatouer. Les névrosés et les psychopathes, ce n’est pas ma tasse de thé.
8) Es-tu d’accord avec cette théorie avancée par de nombreux clichés: la femme est davantage basée sur l’esthétisme alors que l’homme cherche à ce qu’on se fasse une image bien spécifique de lui à partir de ses ornements corporels.
C’est marrant ça, car chez les Tahitiens cela fonctionnait ainsi: une femme devait ‘tre tatouée pour ‘tre belle et un homme devait ‘tre tatoué pour montrer qui il était. Actuellement, on va certainement retrouver des gens comme Áa, mais ce n’est pas avec ces gens là que nous faisons les meilleurs boulots. Pour ce qui est de la femme, au début, le tatouage dans le dos était porté par deux ou trois chanteuses, et finalement ce phénoméne s’est étendu. Or, le bas du dos, ce n’est pas le haut de la t’te. Ca suggére tout de m’me un certain nombre de choses. En-dehors des piéces qu’on fait indépendamment, il faut voir son corps dans sa globalité, dans sa cohérence. C’est une façon de s’occuper de soi. Pas de se sublimer, mais de se voir autrement. Moi j’appelle cela une révolution personnelle, pour l’homme comme pour la femme.
9) Penses-tu que le piercing et le tatouage soient liés ? Pourquoi ?
Ce sont tous les deux des modifications corporelles. Il y en a un qui est un peu plus éphémére que l’autre. Mais bon forcément ils se rejoignent, d’autant plus que le piercing est davantage sollicité dés le départ avec le piercing des lobes.
10) Penses-tu que le phénoméne actuel des modifications corporelles va encore changer, progresser, ou au contraire s’estomper tout au long des années à venir ?
S’estomper je ne crois pas, car je pense qu’aujourd’hui c’est une expression artistique quoi qu’il arrive, tant que ça n’abime pas le corps au point de créer des lésions. Je ne vois pas comment ça pourrait se calmer avec les nouveaux médias qui se développent actuellement. A cause d’M6 notamment, il y en a qui vont taper à fond dans le sensationnel. C’est un peu le phénoméne Jackass, quitte à faire du trash. Ils devraient plutÙt faire des émissions de façon pédagogue en donnant aux gens de vrais renseignements utiles, comme comment trouver un bon tatoueur ou autres. Quand on fait de l’information, on montre les deux cÙtés, on n’essaye pas à tout prix de faire de l’audience, parce que c’est pervers. Au final ils ont eu l’audience, mais ça n’emp’chera pas les jeunes de se faire percer et tatouer. Ca devient un peu révolutionnaire donc forcément ça va les encourager: ´ les vieux veulent pas qu’on fasse ça alors on va le faire. Mais d’un autre côté, la télé ne leur donnera pas non plus d’éléments pour leur expliquer comment la démarche fonctionne. Je trouve ça incroyable qu’actuellement les médias n’aient pas cette volonté pédagogique d’informer, puisque quoi qu’ils fassent ils ne pourront pas endiguer. L’Histoire est en marche et les modifications corporelles en font partie. Mettre tout le monde dans le m’me sac comme l’a fait M6 est réducteur, idiot et complétement irresponsable. Qu’on le veuille ou non, les modifications corporelles n’ont pas fini de se développer.