En Nouvelle-Guinée, le tatouage accompagne généralement les rites initiatiques et marque l’accession de l’adolescent au statut d’adulte. Il est également une épreuve et un preuve de résistance et de force. Dans ces régions – où la pêche est une des activités dominantes – le garçon qui ne passe pas par cette souffrance sera jugé incapable d’attraper des poissons et de trouver une épouse.
En revanche, l’homme abondemment tatoué est surnommé avec admiration “celui qui a crié longtemps” et attire les faveurs de la collectivité. Certaines zones, comme les mains et les pieds, sont particulièrement sensibles à la douleur infligée par le tatouage, certains n’y resistent pas et affichent donc publiquement leur manque de courage. Mais la pression sociale est si forte que très peu d’individus se résignent à subir une telle humiliation. De même, les femmes dont les lèvres ne sont pas tatouées sont frappées par la honte et jugées hideuses et répugnantes. Dans cette région des femmes se sont spécialisées dans la pratique du tatouage : elles exécutent sur les jeunes filles qui accèdent à l’âge adulte des tatouages faciaux composés de lignes et de motifs géométrique. Le tatouage rend ainsi les femmes plus belles et montre également leur force. Il n’existe pas de schéma ornemental préétabli, chaque tatouage est unique et la femme qui l’exécute suit son inspiration du moment (mon). Le seul motif récurrent est une colonne de V sur le front, que l’on retrouve aussi sur les étoffes d’écorce. Si pour aider les hommes à endurer l’épreuve, la collectivité organise des festivités où l’alcool et les chants engendrent une légère transe qui insensibilise, en revanche, le tatouage des femmes s’opère discrètement dans le calme et le retrait, car – comme dans de nombreuses contrées – le sang féminin est jugé impur et menaçant pour les pouvoirs guerriers et cynégétiques des hommes.
Mais aujourd’hui, la signification du tatouage a changé. En raison du multiculturalisme de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les tatouages servent essentiellement de signe d’appartenance à une culture ou à une ethnie. Dans toute la Micronésie, la fabrication des textiles et l’ornementation des corps sont les deux principales activités artistiques. Les motifs des vêtements et des tatouages, qui sont fort complexes, permettent d’identifier une famille, de distinguer un rang ou un statut social. Tout comme les ceintures tissées et les bandeaux tressés, les tatouages se composent de motifs qui, reservés à tel ou tel lignage, ne pouvaient être utilisés par d’autres. Les tatouages de Pohnpei (îles Carolines) comportaient des motifs à base d’entrelacs rappelant ceux des tissus. Les femmes portaient ces tatouages sur l’abdomen, les fesses et les jambes, compensant ainsi le fait de ne pouvoir porter les ceintures tissées réservées aux hommes.
Dans les îles Marshalls, les tatouages présentaient également des motifs rappelant ceux des ceintures et des nattes tissées. Les hommes et les femmes portaient des tatouages dont les motifs étaient à base de lignes brisées, barbelées ou crénelées. L’habillement et le tatouage aux îles Marshalls permettait cependant de différencier socialement un homme d’une femme, car seuls les hommes d’un statut social élevé avaient le droit de porter des tatouages sur le visage – la tête étant considérée comme la partie la plus sacrée du corps et le siège de la mana de tout individu – et de longs cordons tressés en guise de ceinture. Les populations polynésiennes montrent également un fort attachement au corps, au statut social et à la mana à travers leurs tatouages, lesquels enveloppent le corps d’images protectrices, tout en révélant le rang social de la personne qui les porte, et tout en renforçant son sentiment d’appartenance à l’un de deux sexes.
Avant le déclin que connu le tatouage à Hawaï au milieu du XIXe siècle, les hommes de haut rang portaient des tatouages sur le visage, la poitrine, les jambes et les mains. Les motifs comprenaient des zigzags, des triangles étagés et des chevrons, faisant tous référence à la colonne vertébrale et donc à la généalogie. Lorsque les hommes de haut rang livraient combat, dos et têtes étaient protégés par leur cape et leur casque de plumes, le visage et la poitrine par leurs tatouages. En Nouvelle-Zélande, la différence entre hommes et femmes était très marquée, les hommes de haut rang avaient tout le visage couvert de tatouages, tandis que les femmes de rang élevé n’étaient tatouées que sur les lèvres et le menton. Les femmes qui figuraient au rang des membres les plus éminents de leur lignage avaient parfois le droit à des tatouages sur tout le visage pour marquer leur statut inhabituel.
Chez les Areoïs de Polynésie, la société se divise en plusieurs classes signalisées par la disposition des tatouages et chaque classe est baptisée du nom de la partie du corps tatouée. Ainsi, la classe la plus élevée se nomme “jambes tatouées”, la deuxième “bras tatoués”, la troisième “flans tatoués”, la quatrième n’arbore que quelques marques sur l’épaule, la cinqième une simple raie sur le flan gauche, etc. Chez les Maoris, les hommes et les femmes sont tatoués de motifs assez semblables, cependant les femmes ont une ornementation moins dense que les hommes. Comme dans de nombreuses régions du Pacifique, les femmes présentent des tatouages dans la zone des lèvres et du menton, ces tatouages autour ou sur les lèvres préserveraient d’une vieillesse prématurée et conserveraient la beauté des femmes. Pour les Maoris la tête bénéficie également d’un statut particulier car elle contient la force sacrée, la mana, et doit donc être mise en valeur. Aux îles Marquises, le tatouage effectué à la puberté est , pour les jeunes gens, la marque de leur admission dans la communauté des célibataires. Cette communauté a principalement pour tâche de protéger le chef de la tribu et d’enlever aux tribus voisines les victimes nécessaires aux sacrifices. Ainsi, la réalisation des tatouages fait l’objet d’une importante cérémonie à laquelle participent exclusivement les membres masculins de la famille. Trois fêtes sont données à l’issue du tatouage d’un adolescent, fêtes au cour desquelles l’intéressé ne danse pas mais expose son nouveau corps, oint d’huile de noix de coco et de jus de fruits afin de faire ressortir les dessins. Les dernières festivités donnent au jeune homme l’occasion de trouver une épouse. Dans beaucoup de ces archipels pratiquant ce procédé tégumentaire, le tatouage est essentiellement un marqueur social, les motifs réalisés sont des indicateurs du sexe, du statut, des alliances, de l’appartenance d’un individu à un groupe, etc. Ainsi les tatouages constituent de véritables moyens de reconnaissance, une carte d’identité illustrée ; et l’identification entre un individu et ses tatouages est telle qu’ils supplantent parfois réellement ce que nous appelerions la physionomie. Mais aujourd’hui, les tatouages traduisent davantage le sentiment d’appartenance à une culture qu’ils n’indiquent le statut social des individus ou ne permettent de différencier les sexes. De nombreux habitants des îles de la Société, par exemple, ont adopté des tatouages de même style que ceux des Marquises, notamment parce qu’ils trouvent leurs tatouages plus beaux. De plus, les deux archipels faisant à présent partie de la Polynésie française, les populations ont le sentiment d’être unies par un lien culturel et politique. Enfin, les populations des îles de la Société estiment que la tradition des Marquises est plus vivante car le tatouage y a subsisté plus longtemps. Le tatouage est essentiellement répandu chez les jeunes et en particulier les danseurs qui ont sans doute un souci plus grand de la perpétuation des traditions. Après cette analyse du tatouage dans les sociétés des îles du Pacifique, l’exposé de cette pratique dans nos propres sociétés s’impose d’elle-même.
Dans les pays occidentaux
Un tatouage, de par son caractère permanent et indélébile, n’est généralement jamais réfléchit à la légère par celui qui le porte. Le contenu, ainsi que l’emplacement même du tatouage ont une valeur symbolique très forte, qu’elle soit d’ordre idéologique, affective ou autre. Certes, il existe toutes sortes de tatouages différents mais quelle que soit la catégorie à laquelle ils appartiennent ou la raison pour laquelle ils ont vu le jour, tous les tatouages parlent et disent des choses du tatoués, de l’ordre du conscient et de l’inconscient. Tout d’abord, on distingue deux grandes catégories de tatouages. Premièrement, les tatouages codés, souvent incarnés par des formes géométriques énigmatiques. C’est principalement en milieu carcéral que se développent les codes plus ou moins secrets tels que les trois points à la base du pouce signifiant “mort aux vaches”, ou encore les quatres points formant un carré au centre duquel le cinquième point témoigne de l’isolement du prisonnier, de petits traits peuvent également évoquer le nombre d’années d’incarcération, etc. Certains tatouages géométriques et codé (points, lignes, croix…) se retrouvent chez les populations du Maghreb et dans le monde arabe, mais leur signification semblent aujourd’hui avoir plus ou moins été perdue. La seconde catégorie rassemble les tatouages figuratifs qui constituent la forme la plus répandue des oeuvres tégumentaires réalisées actuellement dans les sociétés contemporaines : “lignes et couleurs ne sont pas utilisées en tant que telles mais pour une représentation plus ou moins lisible, plus ou moins visible” (France Borel, “Le vêtement incarné”, 1992, p. 167). De plus, on assiste aujourd’hui à la création de véritables oeuvres d’art vivantes. Les tatouages révèlent la beauté intérieure et joue un rôle de parure séduisante au même titre que les vêtements et les bijoux. Le tatoueur contemporain peut donc se considérer comme un artiste peintre sur le corps. Le tatouage tend à être apprécié comme un réel art graphique. Certains tatoués possèdent des dizaines de tatouages et d’autres en sont entièrement recouverts. On peut notamment trouver des portraits (Mona Lisa, Kennedy…), des textes de loi, des aigles, des motos, des paysages et des couchers de soleil, des scènes épiques, des temples et des estampes japonnaises, on observe même parfois des reproductions incroyables de tableaux, telle qu’un détail de la liberté guidant le peuple de Delacroix ou encore de la création du monde de Michel-Ange, imprimé sur le dos. Mais si les tatouages se présentent en apparence comme des oeuvres artistiques, ils n’en cachent pas moins d’autres réalités, et les raisons conscientes et inconscientes qui conduisent les individus à arborer tel ou tel tatouage sont des plus diverses (mais je laisserais ici de côté l’étude des raisons inconscientes qui appartient plutôt au registre de la psychologie clinique).