L’histoire du tatouage (tatoo) est très difficile à retracer, car même s’il s’agit d’une pratique ancestrale, on ne peut pas encore la situer avec exactitude dans le temps.
Rituel, mythe et marquage en société hétérogène
Le rituel mythe est habituellement défini comme étant une organisation symbolique de sens. Il s’articule autour des interdits — qui ont pour but de préserver le monde profane d’un contact trop étroit avec le sacré — en permettant leur suspension ponctuelle et c’est cette suspension même qui autorise la réaffirmation de l’interdit.
Tout rituel est une réactualisation d’un récit mythique, il fait revivre le mythe, source d’explication de l’origine de toutes choses. «C’est le mythe qui le fonde, qui le structure et qui l’explique.[8]» «Mais le mythe peut concerner des pratiques sociales en apparence les plus banales comme les manières de chasser ou de manger, de fumer ou de s’asseoir au milieu de ses pairs.[9]» Le contenu mythique, dans les sociétés modernes, peut se mouler à plusieurs patrons de discours et il n’est plus conforme à un modèle unique et facilement identifiable. Le support mythologique peut adopter les acabits les plus variés: «le discours écrit, mais aussi la photographie, le cinéma, le reportage, le sport, les spectacles, la publicité, tout cela peut servir de support à la parole mythique.[10]»
Outre la réactualisation mythique, la fonction rituelle sert aussi à apaiser la violence ressentie par une modification brusque ou importante qui survient dans le train-train quotidien. Les rituels les plus élaborés ont souvent été ceux qui symbolisaient le passage d’un état à un autre: naissance, mariage, décès, etc.
Dans certaines traditions, les marques physiques ont souvent été partie intégrante des rituels initiatiques, elles étaient la condition essentielle de l’accession à un statut social autre et symboliquement reconnu comme supérieur.[11] Le passage à l’âge adulte, la reconnaissance de l’identité et de la maturité sexuelle, l’intronisation d’un nouveau membre par un groupe sont autant de motifs à l’initiation pouvant requérir une épreuve physique laissant des traces indélébiles. Ces rites de passages, fortement institués, impliquent cependant le support d’une société homogène, «ils exigent un héritage à transmettre par le groupe d’aînés qui organise la cérémonie, une ligne d’orientation et un savoir concernant la vie à venir pour le groupe de jeunes qui en bénéficie.[12]»
Les quelques rares rituels de passage toujours présents en Occident (fête de naissance, mariage, collation des grades) ne sont plus incontournables, ils s’effectuent sur une base volontaire sans l’adhésion unanime de l’institution sociale.
Le monde moderne, confronté à un futur insaisissable, à une surenchère de l’imprévisible sur le probable et à l’absence d’unanimité sur les valeurs à privilégier au sein de la sociabilité, ne peut guère transmettre dans ces conditions un savoir qui s’élabore au présent pour l’essentiel et se périme au plus vite.[…] Aucune écluse rituelle n’est plus en mesure de favoriser le passage propice et unanime à l’âge d’homme en garantissant au jeune que son existence possède une signification et une valeur […][13]
C’est ainsi que, si on reconnaît d’emblée une fonction rituelle aux marquages traditionnels — c’est-à-dire aux marquages pratiqués dans le cadre de cérémonies planifiées et mises en oeuvre par la communauté, d’aucuns manifestent une résistance certaine à attribuer un sens rituel à ces manifestations contemporaines. Cependant, bien que la forme traditionnelle du rituel ne soit pas entièrement présente dans l’exercice moderne du tatouage, en partie par l’absence d’une signification commune et univoque, il n’est pas interdit de penser que ce dernier conserve néanmoins des propriétés aptes à lui faire assumer des fonctions rituelles comme celles d’apprivoiser des moments charnières de l’existence et de conférer un sentiment de maîtrise et de stabilité.
Le tatouage contemporain se réfère à une histoire individuelle, ou à celle d’un groupe restreint; il est velléité de communication, recherche d’identité. C’est une complainte narcissique sur une vie particulière et, en cela, il marginalise. Alors que les inscriptions des civilisations sans écriture, elles, rendent possible l’équilibre entre identité et appartenance à une collectivité. Non seulement elles facilitent l’intégration de l’individu à la communauté, mais elles constituent un rituel indispensable de l’accession à la dimension sociale. Le tatouage du marginal renvoie au corps propre, le tatouage du primitif renvoie au corps social.[14]
La signification attribuée aux tatouages dans le monde moderne, s’est modifiée en raison des transformations des normes qui régissent le rapport au corps et des changements des marques socialement requises. Le tatouage n’a plus fait partie, au cours des dernières décennies, des exigences d’incorporation sociale, le mouvement allant vers l’usage de marques non-permanentes.[15] C’est ce qui peut inciter certaines personnes à considérer la réelle violence physique qu’imposent les marques permanentes comme une pratique strictement mutilatoire et même «sauvage», entendu ici au sens de barbare. Cette perception est aggravée du fait de son apparente gratuité.
Toutefois, bien qu’il soit corrélatif à un désir souvent affirmé de marginalisation et malgré l’absence d’un large support social, le tatouage agit néanmoins comme une carte d’affiliation, il soude les relations à l’intérieur des groupes qui le valorisent et ce, même si ces groupes sont très restreints, ce qui l’inscrit dans le réseau complexe de la communication des identités.
Si la fonction rituelle du tatouage est plus manifeste lorsque sa pratique est soutenue par une collectivité homogène, sa pratique contemporaine, plus individuelle — un peu à l’image générale de l’ensemble des pratiques sociales qui reçoivent de moins en moins l’adhésion unanime des populations dans les sociétés hétérogènes — n’évacue pas pour autant cette fonction qui n’est pas exclusivement tributaire de l’adhésion collective. Les rituels d’aujourd’hui sont fragmentés, comportent plus de création et sont aussi, d’une certaine manière, plus personnels.
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