L’arrivée du tatouage en Europe porte la raison
Un indigène au corps complètement tatoué a été ramené par William Dampier en 1691 et exhibé dans toute la société londonienne. La société européenne, étonnée par ces ornements se passionne pour la vision d’autres indigènes ramenés par les bateaux de commerces et dont on invente l’histoire pour rendre le spectacle plus intéressant. Ainsi Giolo, l’indigène originaire des Philippines aurait été capturé par le roi de Mindanao et tatoué de force avant d’être vendu comme esclave, une fiction qui pimente le spectacle. C’est de cette façon que suivirent plusieurs autres indigènes mais aussi des marins prétendants avoir été tatoués de force alors que ce n’était pas le cas afin de faire de leur corps un commerce lucratif dans les cirques et les exhibitions. Cook ramena également en 1774 Omai, un insulaire des mers du Sud qui souhaitait connaître l’Angleterre. La fiction de la violence accrédite la valeur des tatouages et justifie les ornements fait sur des européens. Mais le tatouage se retrouve une fois encore doté d’une réputation sulfureuse et il est mis en récit comme la conséquence d’une contrainte physique et d’une action perverse des primitifs, et dans les imaginaires de l’époque la pratique ne peut être volontaire. Ainsi on peut comprendre qu’à l’époque, en plus de la pression religieuse qui le récusait, le tatouage ait pu être perçu comme un signe négatif, de contrainte, de violence et de barbarie. Faire du tatouage un spectacle et cela a été le cas durant de nombreuses années pendant lesquelles on trouvait jusqu’en 1930 des hommes gagnant leur vie dans des cirques et des foires après s’être fait presque entièrement tatoués (le visage était souvent épargné afin de ne pas se couper entièrement de la société occidentale) l’a enfermé dans une image de marginalité et de perversion. Ainsi dans les années 30 de nombreux criminologues assimilent l’existence de tatouages sur un individu avec l’affiliation aux milieux du crime. Certains scientifiques en dénoncent un caractère sadomasochiste et même une preuve de l’homosexualité ! La suspicion du tatoué criminel et dérangé va alors basculer vers une vision négative qui perdure encore dans certains écrits jusqu’en 1960.
Les deux groupes intéressants à étudier du début du XIXème au XXème siècle sont donc les criminels et les marins. La raison de la présence de tatouages sur les marins est relativement évidente, leurs contacts réguliers avec d’autres populations à travers le monde et des cultures différentes font du tatouage un signe de référence. On peut rappeler qu’en Angleterre au début du XXème siècle, 90 % des marins de la Royal Navy étaient tatoués et en 1960 on estime qu’environ 65 % des marins américains se faisaient tatouer avant la fin de leur engagement. Le tatouage chez les marins peut-être assimilé à un rituel, l’éloignement crée le besoin de renouer avec un lien de communauté et cette tradition maritime tient aussi du fait que des tatoueurs fameux se sont installés dans les ports conscients de la clientèle potentielle. Les tatouages des marins ou encore des détenus étaient alors effectués sans dermographes et donc se faisaient de manière très douloureuse, mais la résistance à la douleur avait alors une valeur de l’affirmation de la virilité des hommes qui se faisaient tatouer. On retrouve alors chez les marins, mais aussi les soldats, une symbolique du tatouage de la mise en valeur de la communauté de la virilité masculine et aussi souvent dans les motifs choisis, l’image de l’absence de femmes ou des êtres aimés. Des noms et des initiales féminines sont alors représentés sur les corps de ceux qui ne voient pas leur famille ou leur amante la plupart du temps. Une façon de s’approprier sur soi les personnes absentes, l’expression « avoir quelqu’un dans la peau » est prise au sens propre et permet aux hommes de posséder une mémoire visible.
Cette image des femmes se retrouve évidemment beaucoup aussi dans les prisons. Mais dans cette situation le tatouage trouve une autre explication. On a aussi un sentiment de groupe de détenus qui coexistent et partagent la même privation de liberté, mais il s’agit ici par le biais de la marque corporelle, de retrouver quelque chose de personnel, une propriété que les autres n’ont pas à l’identique et c’est aussi une manière de se réapproprier sa personne à défaut de pouvoir faire ce que l’on veut. Le corps devient mémoire et revendication d’exister malgré l’enfermement. Le tatouage se fait avec des moyens de fortune et doit être caché car sa pratique y est interdite.
Elle n’en est que plus importante, comme le dernier morceau de liberté offert avec les moyens les plus rudimentaires aux détenus. La forte dimension symbolique de la marque corporelle attire forcement ceux qui sont privés de liberté et ne peuvent plus que la regretter. Une chance pour la reconquête de soi symbolique est présente dés qu’un détenu est capable de tatouer ses camarades. La dignité est revendiquée contre le règlement et c’est une façon pour ces hommes de conserver une part de libre arbitre, du moins sur eux-mêmes et aussi de prouver aux autres leur courage et donc d’éviter parfois les ennuis.
Le tatouage se retrouve alors lors de la sortie de prison être un piège, un stigmate, on peut noter « criminel » à la vue d’un homme tatoué et ainsi la liberté acquise dans la prison disparaît à l’extérieur puisqu’on l’a vu précédemment nombre de scientifiques voient le tatouage comme le signe des criminels. La stigmatisation qui se joue rappelle celle des marques d’infamie existantes sous le XIV ème siècle et plus tard avec par exemple la lettre M imprimée sur le front des mendiants professionnels condamnés à la prison, la fleur de lys associé à une ou plusieurs lettres pour marquer les criminels ( GAL pour les anciens galériens, V pour les voleurs) et les femmes ne sont pas épargnées, une fleur de lys étant imprimée sur la peau des prostituées. Enfin le code noir, qui régit les relations avec les esclaves dans les colonies, impose dés 1685 une fleur de lys sur la peau de tous les fugitifs et des mutilations supplémentaires en cas de récidives. La marque au corps nous le verrons encore plus tard peut être aussi le symbole de l’horreur.
Pour en revenir aux criminels et en 1930, ceux-ci étaient souvent marqués de tatouages divers. Le tatouage du milieu diffuse de reprendre à son compte la marginalisation et la mise à l’écart de la société comme si elle était choisie par l’individu. Parfois les tatouages sont un signe d’appartenance à une bande de criminels. L’humour est souvent présent dans les textes et les images des tatouages des criminels ainsi que l’imagerie érotique on retrouve ainsi des textes apposés sur le bas ventre ou encore le sexe de certains individus.
Ainsi comme on parlait de la marque d’infamie sur les prostituées dans les siècles précédents, à cette époque le tatouage revient sur celles-ci, en plus ou moins volontaire. En effet, les prostituées, stigmatisées, s’approprient aussi le tatouage en signe de dignité et de liberté, de plus la fréquentation des marins, criminels, où soldats influe sur les femmes qui les prennent en exemple. Par contre à la différence es hommes les prostituées ne voient pas toujours le caractère indélébile de lamarque. Et il arrive souvent que ce soit les proxénètes qui les fassent tatouer comme preuve qu’elles leur appartiennent. Un film japonais datant des années 60 met en scène une jeune femme vendue à un souteneur qui décide de la faire tatouer, en premier lieu car son tatoueur le lui demande mais surtout pour transformer la jeune femme en véritable prostituée, en ce qu’il appelle « une mangeuse d’hommes » et lui promet que son tatouage lui offrira la force de soutirer de l’argent à n’importe qui. Le proxénète revendique alors le fait d’avoir crée une part de l’identité de cette femme et qu’elle lui appartienne (« Tatouage », Yasuzo Masumura, 1966) .
Et ce n’est pas le seul moment ou le tatouage symbolise l’appropriation de l’autre, en effet en plus des souteneurs, certains maris jaloux amènent leurs femmes chez des tatoueurs pour leur inscrire sur la peau « J’appartiens à … » comme le signale un tatoueur américain basé à Chicago. Le tatouage, historiquement à toujours eu valeur d’identité, qu’elle soit revendiquée comme appartenance à une communauté, à un individu ou encore comme l’appartenance de son propre corps pour soi-même. Pourtant on peut se demander si de nos jours l’idée est toujours la même pour les nombreux adeptes du tatouage. Mais tout d’abord il faut prendre en compte les caractéristiques modernes du tatouage.
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