Un tatouage (ou tatoo) est un dessin à l’encre ou quelque autre pigment, habituellement décoratif ou symbolique, indélébile, sous la peau. C’est un type de modification corporelle.
Blessure dans le tatouage
• Blessures de beauté, blessures du temps…
Tatouages définitifs, tatouages éphémères, piercing, branding… Depuis quelques temps, on a vu ressurgir, dans nos sociétés occidentales, ces marquages corporels. Comment expliquer un tel engouement ? Simple effet de mode, expression du désir de ré-ancrer symboliquement son corps dans un groupe, dans une tradition ? Depuis toujours, l’homme a adopté l’art du camouflage, du tatouage, de la scarification, voire de la mutilation. Le tout pour signifier, communiquer, inscrire, en le gravant dans sa chair, son appartenance à un groupe, afficher sa bravoure ou sa révolte, se protéger du mal. Cet art du corps a une forte portée symbolique : ce qui est accompli dans la chair – inscription, percement ou trait – a valeur d’éternité. Tant pis s’il fait mal ; la douleur est la valeur ajoutée indispensable !
• Tatouages : l’esprit inscrit dans le corps
Sur le dos d’un chasseur du néolithique, on a découvert des tatouages linéaires (qui semblent suivre le trajet de points d’acupuncture). Sur des fragments de peau de la prêtresse égyptienne Amunet (4 000 avant J-C), on voit des lignes et des points tatoués. Dessin magique, talisman ou simple décoration ? Marco Polo s’étonne des “étranges piqûres” sur le visage, le cou, la poitrine, les bras, le ventre des habitants de Birmanie.
Mais c’est au capitaine Cook, de retour d’une expédition à Tahiti en cette fin du XVIII° siècle, qu’on devra le terme de “tatau” (ta, inscrit sur la peau et atoua, esprit) qui deviendra “tattoo”. Depuis, les plus beaux tatouages, ceux des visages de chefs maoris ou le corps d’indigènes des îles Marquises n’ont cessé de fasciner les Occidentaux.
Au XIXe siècle, on voit fleurir cette mode exotique dans les foires où indigènes et matelots arborent des tatouages surprenants. Même les têtes couronnées se “piquent” au jeu . Au Danemark et en Suède, conquis par cet art, les familles royales se font inscrire leur blason sur le corps. En Angleterre, le prince Albert se distingue par le port d’un anneau… au pénis, inaugurant le piercing en Occident.
• Le tatouage interdit par la religion
Invoquant la Bible qui dit, dans le Lévitique (ch. XIX, vers. 28), “Vous ne ferez pas d’incision sur votre chair”, l’Eglise a longtemps jeté l’anathème sur toute marque corporelle, qui est le signe des peuples dits non-civilisés. Une “condamnation” qui explique le sentiment ambivalent entre attirance et répulsion que connaissent une grande majorité de gens à la vue d’une modification corporelle : dessins ou percements sur la chair, ou cicatrices rituelles.
En dépit de cette antique injonction, on assiste depuis quelques temps à une réappropriation de ces pratiques ancestrales… Empruntant parfois aux graffitis (tags, dégradation volontaire en signe de rébellion ou signe d’appartenance à un objet d’amour), voulus comme une ornementation exhibée pour attirer le regard, ou une version intime et érotique de celui ou celle qui s’offre au tatoueur comme un parchemin ou une toile afin d’abriter idéogrammes ou dessins qui excitent la libido. – Ricardo, photographié par Doisneau, vingt ans de bagne à son actif, n’affichait-il pas des tatouages pornos sur les fesses ? – Les arts du tatouage semblent se déchaîner.
Les uns portent un tatouage comme un maquillage permanent, d’autres tentent de restaurer une image corporelle abîmée. D’autres encore exposent à fleur de peau leur recherche d’une identité. On touche ici la frontière, très mince, entre chirurgie esthétique et corps peint à vie : les premières tentatives de tatouage médical datent de la fin du XIXe siècle. Remodelage de l’ourlet des lèvres, des cils, des sourcils, dissimulation d’un angiome ou d’une cicatrice.
• Le tournant historique du tatouage
Le grand tournant de l’art du corps s’opère en 1891 lorsque Samuel O’Reilly invente la première machine électrique à tatouer. Dès lors, ce n’est plus la pointe qui entre dans la chair poussée par un petit marteau, mais des aiguilles reliées à une buse et dont on peut programmer la profondeur (un millimètre environ). Les risques d’infection sont ainsi réduits, pourvu que le tatoueur procède à la stérilisation de ses outils… Lorsque les colorants industriels indélébiles apparaissent, remplaçant l’encre de Chine et le noir de fumée d’antan.En 1986, des pigments couleur chair vont renouveler l’art du tatouage.
Jouer avec son corps devient très à la mode : Johnny Depp affiche ses tatouages. Jean-Paul Gaultier emprunte les tatouages de Tin-Tin pour ses défilés. Certes, on est à des milliers de kilomètres des hommes-fleurs de Sumatra, dont la peau décorée comme les ancêtres l’avaient défini permettait d’exister dans un “corps achevé” et d’atteindre ainsi l’harmonie. Aujourd’hui, l’esthétique prime sur la tradition.
Si, d’aventure, le tatoueur du troisième millénaire n’est pas un artiste, le tatouage risque bien de se transformer en châtiment. (Comme le fut jadis le marquage des esclaves, des voleurs et malfaiteurs et autres galériens qui portaient, tatouée, la lettre d’infamie ou la fleur de lys, signe de flétrissure définitive). Aussi est-il bon de connaître les tatoueurs dignes de ce nom…
• Des artistes renommés
Ed Hardy aux Etats-Unis, Hanky Panky en Europe, peuvent être considérés comme les grands précurseurs. Actuellement, Robert Hernandez est une fine aiguille à Madrid. Dans les conventions, s’illustrent Bébert à Annecy, Bruno, Tin-Tin dont la renommée n’est plus à faire, Blaise et Christiane à Paris, Fontinha à Lisbonne, Bugs à Camden Town, Matti à Stockolm, et tant d’autres…
Leur art se reproduit soit à partir de calques, soit, pour les plus habiles et les plus inspirés, à main levée. Leurs styles ? Le tribal (asiatique), le celtique, le new-school (façon graffitis), le réaliste, d’après photo (portraits), le traditionnel américain (pin-up, têtes d’Indiens, à la Sailor Jerry).
Le choix du noir et blanc, l’art du dégradé, du mélange d’encres, des dilutions, mais aussi la maîtrise du réglage de la machine à tatouer. Il existe autant de techniques artisanales qui varient avec chaque tatoueur et dont la maîtrise fait le talent de certains. L’art oriental peut côtoyer les graphismes arabisant, le trait des cartoons celui du pur symbole… Le corps devient objet d’art et s’expose.
• Piercing, métaphore de l’acte sexuel ?
Mais si l’on sait que le tatouage fait mal sans que la douleur soit insupportable, qu’en est-il du piercing ? Bijou à la pointe du sein, au nombril, à l’arcade sourcilière, à la narine, à la lèvre, ou au-dessus du menton, clou dans la langue, ampallang (ou barre) transperçant le gland, bague au pénis, clochettes aux lèvres du sexe féminin… Corps et visage deviennent les écrins d’ornements dont la connotation érotisante est parfois limpide. Délire sado-maso ou hardcore (art-corps ?), depuis les années 1990, tous les fantasmes sont permis.
Le piercing, métaphore de l’acte sexuel, peut aussi se présenter comme un art de vie.
Les bijoux de base sont des anneaux ou des barres (biocompatibles). Certains bois ou os sont également portables. À l’instar de certaines tribus comme les Masaï de l’Est africain. Il faut notamment savoir que tous les piercings sont extensibles. On peut donc remplacer le premier bijou par un plus gros ou plus grand.
Là encore, des mesures de stérilisation et de prévention sanitaires s’imposent : le piercing doit s’effectuer dans une pièce aseptisée, avec des pinces à clamper, des aiguilles intramusculaires et intraveineuses à usage unique. Tout doit impérativement passer dans l’autoclave et être ensuite stérilisé.
Attention à l’utilisation des pistolets (comme ceux des bijoutiers) : ces outils ne pouvant supporter l’autoclave, ils ne sont pas stérilisables. De plus, le port de gants est obligatoire. Un perceur professionnel doit respecter certaines règles élémentaires d’asepsie.
• Scarification, branding, implants…
Dans les sociétés primitives, en Afrique notamment, on incisait la chair : il s’agit de la scarification, toujours accompli comme un douloureux rite de passage. Comme une marque de virilité et au contraire de féminité. Aujourd’hui, on inscrit ainsi ces cicatrices au scalpel. Mais la réponse des peaux blanches est différente de celles des peaux noires, qui développent rapidement des cicatrices hypertrophiées.
Le branding est aussi revenu à la mode. Il s’agit de se faire marquer par brûlure, et c’est un marquage bref mais violent. Là encore, la douleur endurée est donc à jamais inscrite sur le corps. La marque ne pourra pas disparaître.
On parle d’implants, lorsqu’on place un bijou ou autre objet biocompatible sous la peau, par exemple, des billes en Téflon ou des barres. Par exemple sous la membrane du sexe masculin… Mais le risque de migration des implants sous la peau est réel. Il faut pratiquer des sutures pour éviter ce déplacement.
Les implants sont une alternative moderne au piercing traditionnel. Des recherches sont menées pour limiter au maximum les risques.
Toutes ces modifications corporelles traduisent un rapport nouveau au corps. Si le souci esthétique domine, on renoue avec les expressions des sociétés primitives. En effet, le triomphe sur la douleur que les pratiques de modifications corporelles imposent témoigne de la force de l’individu. Certaines pratiques religieuses, le tandem mortifications/rédemption par exemple, constituaient un outil de perfectionnement spirituel.
Mais, dans nos sociétés modernes, la portée symbolique du tatouage ou piercing est plus personnelle que collective. L’état altéré de celui qui aborde une modification plus ou moins intense de son enveloppe corporelle passe par la douleur. Et il est nécessaire d’en garder la marque. On peut penser qu’il s’agit ici de magie individuelle latente, une réponse à un besoin originel.